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GEORGE SAND.

donc ainsi ? — Les souvenirs, en général, me sont chose si chère et si douloureuse que je n’aime pas à y insister à moins qu’on ne m’y oblige. — Mais à ceux qui m’interrogent sur ce que je pense à mon tour de l’auteur des éloquents Mémoires, je réponds : Vous la connaissez par là comme par tant d’autres endroits de ses écrits, mais vous ne la connaissez encore qu’à demi : il y a des parties plus profondes, plus vives, qu’elle a raison, du moins maintenant, de ne pas dire, et seulement d’indiquer : si on savait tout d’elle, je ne parle pas de l’admiration, mais l’estime pour sa nature et la sympathie même augmenteraient. Elle a pu et dû se tromper quelquefois, et avec violence, mais toujours avec sincérité ; personne n’a joué plus franc qu’elle à ce jeu si périlleux de la vie. Son talent, son âme, toute son organisation, ne sont qu’un dans les grands moments ; elle est femme et très-femme, mais elle n’a rien des petitesses du sexe, ni des ruses ni des arrière-pensées ; elle aime les horizons larges et vastes, et c’est là qu’elle va d’abord ; elle s’inquiète du bien de tous, de l’amélioration du monde, ce qui est au moins le plus noble mal des âmes et la plus généreuse manie. En un mot, elle a la puissance et le cœur, et plus on la connaîtrait en tous ses orages, plus on lui resterait attaché par cet attrait qui intéresse aux natures singulières en même temps que par ce nœud qui lie aux êtres profondément humains. Elle a su être naturelle sous les systèmes, comme elle s’est trouvée passionnée sous ses magnificences de talent. — Je dis encore bien des choses que j’ai besoin qu’on aille chercher en moi en m’interrogeant ; car, seul et abandonné à moi-même, j’aime mieux laisser dormir, sans en remuer les abîmes, tous ces beaux lacs profonds du passé. »



fin du tome premier.