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dans le poëte, et qui le plus souvent, au défaut d’épanchement convenable, débordait dans ces larmes dont nous avons parlé. Un de nos amis les plus chers, qui, pour être romantique, à ce qu’on dit, n’en garde pas moins à Racine un respect profond et un sincère amour, a essayé de retracer l’état intérieur de cette belle âme dans une pièce de vers qu’il ne nous est pas permis de louer, mais que nous insérons ici comme achevant de mettre en lumière notre point de vue critique.

LES LARMES DE RACINE.
Racine, qui veut pleurer, viendra à la
profession de la sœur Lalie.viendra
(Madame de Maintenon)à la

Jean Racine, le grand poëte,
Le poëte aimant et pieux,
Après que sa lyre muette
Se fut voilée à tous les yeux,
Renonçant à la gloire humaine,
S’il sentait en son âme pleine
Le flot contenu murmurer,
Ne savait que fondre en prière,
Pencher l’urne dans la poussière
Aux pieds du Seigneur, et pleurer.

Comme un cœur pur de jeune fille
Qui coule et déborde en secret,
À chaque peine de famille,
Au moindre bonheur, il pleurait ;
À voir pleurer sa fille aînée ;
À voir sa table couronnée
D’enfants, et lui-même au déclin ;
À sentir les inquiétudes
De père, tout causant d’études,
Les soirs d’hiver, avec Rollin ;

Ou si dans la sainte patrie,
Berceau de ses rêves touchants,