Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/109

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Il s’égarait par la prairie
Au fond de Port-Royal-des-Champs ;
S’il revoyait du cloître austère
Les longs murs, l’étang solitaire,
Il pleurait comme un exilé ;
Pour lui, pleurer avait des charmes.
Le jour que mourait dans les larmes
Ou La Fontaine ou Champmeslé[1].

Surtout ces pleurs avec délices
En ruisseaux d’amour s’écoulaient,
Chaque fois que sous des cilices
Des fronts de seize ans se voilaient ;
Chaque fois que des jeunes filles,
Le jour de leurs vœux, sous les grilles
S’en allaient aux yeux des parents,
Et foulant leurs bouquets de fête,
Livrant les cheveux de leur tête,
Épanchaient leur âme à torrents.

Lui-même il dut payer sa dette ;
Au temple il porta son agneau ;
Dieu marquant sa fille cadette,
La dota du mystique anneau.
Au pied de l’autel avancée,
La douce et blanche fiancée
Attendait le divin Époux ;
Mais, sans voir la cérémonie,
Parmi l’encens et l’harmonie
Sanglotait le père à genoux[2].

Sanglots, soupirs, pleurs de tendresse,
Pareils à ceux qu’en sa ferveur

  1. Il est permis de supposer, malgré ce qu’on a vu plus haut, que le poëte donna secrètement à la Champmeslé quelques larmes et quelques prières.
  2. Lope de Vega eut aussi une fille, et la plus chérie, qui se fit religieuse ; il composa sur cette prise de voile une pièce de vers fort touchante, où il décrit avec beaucoup d’exaltation les alternatives de