Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/224

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d’éclat et de fraîcheur ; son harmonie ne s’exhale pas, son style ne rayonne pas ; mais le sentiment qui l’inspire est profond, continu, élevé ; la faculté philosophique s’y manifeste avec largeur et mouvement. L’impression qui résulte de ces vers, quand on les a lus ou entendus, est celle d’un stoïcisme triste et résigné qui traverse noblement la vie en contenant une larme. Nous signalons surtout au lecteur la pièce adressée à un ami victime de l’amour ; elle est sublime de gravité tendre et d’accent à la fois viril et ému. Dans la pièce à madame O’R…, alors enceinte, on remarquera une strophe qui ferait honneur à Lamartine lui-même : c’est celle où le poëte, s’adressant à l’enfant qui ne vit encore que pour sa mère, s’écrie :

Tu seras beau ; les Dieux, dans leur magnificence,
N’ont pas en vain sur toi, dès avant ta naissance,
Épuisé les faveurs d’un climat enchanté ;
Comme au sein de l’artiste une sublime image,
N’es-tu pas né parmi les œuvres du vieil âge ?
N’es-tuN’es-tu pas fils de la beauté ?

Ce que nous disons avec impartialité des vers de Farcy, il le sentit lui-même de bonne heure et mieux que personne ; il aimait vivement la poésie, mais il savait surtout qu’on doit ou y exceller ou s’en abstenir : « Je ne voudrais pas, écrivait-il à M. Viguier, que mes vers fussent de ceux dont on dit : Mais cela n’est pas mal en vérité ! et qu’on laisse là pour passer à autre chose. » Sans donc renoncer, dès le début, à cette chère et consolante poésie, il ne s’empressa aucunement de s’y livrer tout entier. D’autres idées le prirent à cette époque : il avait dû aller en Grèce avec son ami Colin ; mais ce dernier ayant été obligé par des raisons privées de retourner en France, Farcy ajourna son projet. Ses économies d’ailleurs tiraient à leur fin. L’ambition de faire fortune, pour contenter ensuite ses goûts de voyage, le préoccupa au point de l’engager dans une entreprise fort incertaine et fort coû-