Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

teuse avec un homme qui le leurra de promesses et finalement l’abusa[1]. Plein de son idée, Farcy quitta Naples à la fin de l’année 1827, revint à Paris, où il ne passa que huit jours, et ne vit qu’à peine ses amis, pour éviter leurs conseils et remontrances, puis partit en Angleterre, d’où il s’embarqua pour le Brésil. Nous le retrouvons à Paris en avril 1829. Tout ce que ses amis surent alors, c’est que cette année d’absence s’était passée pour lui dans les ennuis, les mécomptes, et que sa candeur avait été jouée. Il ne s’expliquait jamais là-dessus qu’avec une extrême réserve ; il avait ceci pour constante maxime : « Si tu veux que ton secret reste caché, ne le dis à personne ; car pourquoi un autre serait-il plus discret que toi-même dans tes affaires ?  Ta confidence est déjà pour lui un mauvais exemple et une excuse. » Et encore : « Ne nous plaignons jamais de notre destinée : qui se fait plaindre se fait mépriser. » Mais nous avons trouvé, dans un journal qu’il écrivait à son usage, quelques détails précieux sur cette année de solitude et d’épreuves :

« J’ai quitté Londres le lundi 2 juin 1828 ; le navire George et Mary, sur lequel j’avais arrêté mon passage, était parti le dimanche matin ; il m’a fallu le joindre à Gravesend : c’est de là que j’ai adressé mes derniers adieux à mes amis de France. J’ai encore éprouvé une fois combien les émotions, dans ce qu’on appelle les occasions solennelles, sont rares pour moi ; à moins que ce ne soient pas là mes occasions solennelles. J’ai quitté l’Angleterre pour l’Amérique, avec autant d’indifférence que si je faisais mon premier pas pour une promenade d’un mille : il en a été de même de la France, mais il n’en a pas été de même de l’Italie : c’est là que j’ai joui pour la première fois de mon indépendance, c’est là que j’ai été le plus puissant de corps et d’esprit. Et cependant que j’y ai mal employé de temps et de forces ! Ai-je mérité ma liberté ? — Quand je pense que je n’avais

  1. M. Jacques Coste, qui vendit au ministère les Tablettes universelles en 1823 et qui fonda ensuite le journal le Temps.