Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/413

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balde sied assez, était mort ; était-ce Boursault qui, sans appartenir à l’Académie, avait pu se coaliser avec quelques-uns du dedans ? Était-ce le vieux Boyer[1] ou quelque autre de même force ?  D’Olivet montre trop de discrétion là-dessus. — Les deux autres morceaux essentiels à lire sur La Bruyère sont une Notice exquise de Suard, écrite en 1782, et un Éloge

    satyriques, dont la plupart sont faux et les autres tellement outrés, etc., etc. Ceux qui s’attachent a ce genre d’écrire devroient être persuadés que la satyre fait souffrir la piété du Roi, et faire réflexion que l’on n’a jamais ouï ce Monarque rien dire de désobligeant à personne. (Tout ceci et ce qui suit sent quelque peu la dénonciation.) La satyre n’étoit pas du goût de Madame la Dauphine, et j’avois commencé une réponse aux Caractères du vivant de cette princesse qu’elle avoit fort approuvée et qu’elle devoit prendre sous sa protection, parce qu’elle repoussoit la médisance. L’ouvrage de M. de La Bruyère ne peut être appelé livre que parce qu’il a une couverture et qu’il est relié comme les autres livres. Ce n’est qu’un amas de pièces détachées… Rien n’est plus aisé que de faire trois ou quatre pages d’un portrait qui ne demande point d’ordre… Il n’y a pas lieu de croire qu’un pareil recueil qui choque les bonnes mœurs ait fait obtenir à M. de La Bruyère la place qu’il a dans l’Académie. Il a peint les autres dans son amas d’invectives, et dans le discours qu’il a prononcé il s’est peint lui-même… Fier de sept éditions que ses Portraits satyriques ont fait faire de son merveilleux ouvrage, il exagère son mérite… » Et le Mercure conclut, en remuant sottement sa propre injure, que tout le monde a jugé du discours qu’il était directement au-dessous de rien. Certes, l’exemple de telles injustices appliquées aux plus délicats et aux plus fins modèles serait capable de consoler ceux qui ont du moins le culte du passé, de toutes les grossièretés qu’eux-mêmes ils ont souvent à essuyer dans le présent.

  1. Ce serait plutôt Boursault que Boyer ; car je me rappelle que Segrais a dit à propos des épigrammes de Boileau contre Boyer : « Le pauvre M. Boyer n’a jamais offensé personne. » — Je m’étais mis, comme on voit, fort en frais de conjectures, lorsque Trublet, dans ses Mémoires sur Fontenelle, page 225, m’est venu donner la clef de l’énigme et le nom des masques. Il paraît bien qu’il s’agit en effet de Thomas Corneille et de Fontenelle, ligués avec De Visé : Fontenelle était de l’Académie à cette date ; lui et son oncle Thomas faisaient volontiers au dehors de la littérature de feuilletons et écrivaient, comme on dirait, dans les petits journaux. On sait le mot de Boileau à propos de la Motte : « C’est dommage qu’il ait été s’encanailler de ce petit Fontenelle. »