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comme il en avait, le poète se leva de table à l’instant, et dit de seller son cheval pour faire lui-même cette reconnaissance, cette espèce de course au clocher. Mais à peine était-il en route, que le cheval, qu’il n’avait pas monté depuis longtemps, le renversa. Il eut le col du fémur cassé, et le traitement, la fatigue qui s’ensuivit, déterminèrent la maladie de poitrine dont il mourut, le 12 août 1816. Il avait passé les six dernières semaines à Neuilly, et ne revint à Paris que tout à la fin ; la veille de sa mort, il avait demandé et lu des pages de Fénelon.

Son souvenir est resté intéressant et cher ; ce qui a suivi de brillant ne l’a pas effacé. Toutes les fois qu’on a à parler des derniers éclats harmonieux d’une voix puissante qui s’éteint, on rappelle le chant du cygne, a dit Buffon. Toutes les fois qu’on aura à parler des premiers accords doucement expirants, signal d’un chant plus mélodieux, et comme de la fauvette des bois ou du rouge-gorge au printemps avant le rossignol, le nom de Millevoye se présentera. Il est venu, il a fleuri aux premières brises ; mais l’hiver recommençant l’a interrompu. Il a sa place assurée pourtant dans l’histoire de la poésie française, et sa Chute des Feuilles en marque un moment.

1er  Juin 1837.