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DES SOIRÉES LITTÉRAIRES
OU
LES POÈTES ENTRE EUX


Les soirées littéraires, dans lesquelles les poëtes se réunissent pour se lire leurs vers et se faire part mutuellement de leurs plus fraîches prémices, ne sont pas du tout une singularité de notre temps. Cela s’est déjà passé de la sorte aux autres époques de civilisation raffinée ; et du moment que la poésie, cessant d’être la voix naïve des races errantes, l’oracle de la jeunesse des peuples, a formé un art ingénieux et difficile, dont un goût particulier, un tour délicat et senti, une inspiration mêlée d’étude, ont fait quelque chose d’entièrement distinct, il a été bien naturel et presque inévitable que les hommes voués à ce rare et précieux métier se recherchassent, voulussent s’essayer entre eux et se dédommager d’avance d’une popularité lointaine, désormais fort douteuse à obtenir, par une appréciation réciproque, attentive et complaisante. En Grèce, en cette patrie longtemps sacrée des Homérides, lorsque l’âge des vrais grands hommes et de la beauté sévère dans l’art se fut par degrés évanoui, et qu’on en vint aux mille caprices de la grâce et d’une originalité combinée d’imitation, les poëtes se rassemblèrent à l’envi. Fuyant ces brutales révolutions militaires qui bouleversaient la Grèce après Alexandre, on les vit se blottir, en quelque sorte, sous