Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/499

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nous ; nous possédions Nodier encore une fois tout entier. Depuis des années, il avait si souvent parlé de la mort, et nous l’avions en toute rencontre retrouvé si vivant par l’esprit qu’on ne pouvait se figurer qu’il ne s’exagérât pas un peu ses maux, et à lui aussi on pourrait appliquer ce qu’on disait de M. Michaud, que la durée même de nos craintes refaisait à la longue nos espérances. On était tenté surtout de répéter avec M. Alfred de Musset :

Ami, toi qu’a piqué l’abeille,
Ton cœur veille,
Et tu n’en saurais ni guérir,
Ni mourir.

Mais non, il y avait plus que la piqûre de l’abeille ; l’aiguillon fatal était là. C’est trop longtemps insister et nous complaire à de gracieux retours que la gravité de la fin dernière vient couvrir et dominer. Nodier est mort en homme des espérances immortelles, en homme religieux et en chrétien. Ces idées, ces croyances du berceau et de la tombe, étaient de tout temps demeurées présentes à son imagination, à son cœur. Entouré de la famille la plus aimable et la plus aimée, d’une famille que l’adoption dès longtemps n’avait pas craint de faire plus nombreuse, de ses quatre petits-enfants qui jouaient la veille encore, ne pouvant rien comprendre à ces approches funèbres, de sa charmante fille, sa plus fidèle image, son œuvre gracieuse la plus accomplie, Nodier a traversé les heures solennelles au milieu de tout ce qui peut les soutenir et les relever ; si une pensée de prévoyance humaine est venue par moments tomber sur les siens, elle a été comprise, devinée et rassurée par la parole d’un ministre, son confrère, l’ami naturel des lettres[1]. Les témoignages d’intérêt et d’affection, durant toute sa maladie, ont été unanimes, universels ; il y était sensible ; il croyait trop à l’ami-
  1. M. Villemain, ministre de l’Instruction publique.