Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/80

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degrés et des points d’appui avec perspective pour les infirmes : l’œuvre de Shakspeare a l’accès plus rude, et l’œil ne l’embrasse pas de tout point ; nous savons de fort honnêtes gens qui ont sué pour y aborder, et qui, après s’être heurté la vue sur quelque butte ou sur quelque bruyère, sont revenus en jurant de bonne foi qu’il n’y avait rien là-haut ; mais, à peine redescendus en plaine, la maudite tour enchantée leur apparaissait de nouveau dans son lointain, mille fois plus importune aux pauvres gens que ne l’était à Boileau celle de Montlhéry :

Ses murs, dont le sommet se dérobe à la vue,
Sur la cime d’un roc s’allongent dans la nue,
Et, présentant de loin leur objet ennuyeux,
Du passant qui les fuit semblent suivre les yeux.

Mais nous laisserons pour aujourd’hui la tour de Montlhéry et l’œuvre de Shakspeare, et nous essaierons de monter, après tant d’autres adorateurs, quelques-uns des degrés, glissants désormais à force d’être usés, qui mènent au temple en marbre de Racine.

Racine, né en 1639, à la Ferté-Milon, fut orphelin dès l’âge le plus tendre. Sa mère, fille d’un procureur du roi des eaux-et-forêts à Villers-Cotterets, et son père, contrôleur du grenier à sel de la Ferté-Milon, moururent à peu d’intervalle de temps l’un de l’autre. Âgé de quatre ans, il fut confié aux soins de son grand-père maternel, qui le mit très-jeune au Collége à Beauvais ; et après la mort du vieillard, il passa à Port-Royal-des-Champs, où sa grand’mère et une de ses tantes s’étaient retirées. C’est de là que datent les premiers détails intéressants qui nous aient été transmis sur l’enfance du poëte. L’illustre solitaire Antoine Le Maître l’avait pris en amitié singulière, et l’on voit par une lettre qui s’est conservée, et qu’il lui écrivait dans une des persécutions, combien il lui recommande d’être docile et de bien soigner, durant son absence, ses onze volumes de saint Chrysostome. Le petit