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Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/102

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bât sur le Jeu de raquette, ce qui en donnait l’idée et faisait diversion.

Aujourd’hui encore, si, à la campagne, un jour de pluie, vers une fin d’automne, reprenant le volume négligé, on retrouvait tout d’abord (sujet de circonstance) le Coin du feu, celui de l’Homme des Champs ou celui des Trois Régnes, diversement spirituels ou touchants, on serait charmé à bon droit, on s’étonnerait d’avoir pu être si sévère pour le gracieux poëte, et l’on s’écrierait en relisant la page : Son génie est là !

Je n’aborderai pas en particulier chacun des ouvrages publiés par Delille à dater de 1800 ; ce serait répéter à chaque examen nouveau les mêmes critiques, les mêmes éloges, et je n’aurais guère rien à en dire d’ailleurs qui n’ait été trouvé par des contemporains mêmes. Ginguené a jugé l’Homme des Champs avec un mélange de sévérité et de bienveillance qui fait honneur à son esprit et à la critique de son temps. Geoffroy, quoique du même parti politique que Delille, s’est montré beaucoup plus sévère dans la nouvelle Année littéraire qu’il essaya alors, et il ménagea moins l’aimable auteur que l’ancienne Année littéraire ne l’avait fait. Fontanes, bien qu’ami du poëte et défenseur du poëme, cacha sous beaucoup d’éloges des critiques moins détaillées, mais au fond à peu près les mêmes que celles de Ginguené, et qui acquièrent sous sa plume favorable une autorité nouvelle. Ginguené encore a jugé dans la Décade la traduction de l’Énéide, et cette fois sa sévérité plus rigoureuse va chercher les négligences et le faux jusque dans les moindres replis de ce faible ouvrage[1]. Les amis de Delille se rejetaient sur quelques mor-

  1. « Le traducteur, dit-il, ajoute de son chef à la description de la tempête dont les Troyens sont assaillis en quittant la Sicile :

    Son mât seul un instant se montre à nos regards !

    Aux regards de qui ? A quoi pensait-il donc en faisant ce vers ? Avait-il imité cette tempête de Virgile pour la placer dans un autre