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 mots, pour exprimer lumineusement tout cela, et il y fit circuler des rayons vivifiants. Buffon eut ses grands tableaux plus calmes, plus froids au premier abord, mais participant aussi de la vie profonde et de la majesté de l’objet. Venu immédiatement après ces deux grands peintres, Bernardin de Saint-Pierre sut être neuf et distinct à côté d’eux. Il introduisit plus particulièrement la nature des tropiques, comme Jean-Jacques avait fait celle des Alpes ; et cette nouveauté brillante lui servit d’abord à gagner les regards. Mais la nouveauté était aussi dans sa manière et dans son pinceau ; il mêlait aisément aux tableaux qu’il offrait des objets naturels, le charme des plus délicieux reflets ; il avait le pathétique, l’onction dans le pittoresque, la magie.

En 1771, lorsqu’il revint définitivement à Paris, après une jeunesse errante, aventureuse et remplie de toutes sortes de tâtonnements et de mécomptes, Bernardin de Saint-Pierre avait trente-quatre ans. Son biographe, M. Aimé-Martin[1], et une partie de la Correspondance publiée en 1826, ont donné sur ces années d’épreuves tous les intéressants détails qu’on peut désirer ; et les origines d’aucun écrivain de talent ne sont mieux éclairées que celles de Bernardin de Saint-Pierre. Né au Havre en 1737, son imagination d’enfant s’égara de bonne heure sur les flots. Dès huit ans il cultivait un petit jardin et prenait part à la culture des fleurs, comme il convenait à l’auteur futur du Fraisier. A neuf ans, ayant lu quelques volumes des Pères du désert, il quitta la maison un matin avec son déjeuner dans son petit panier, pour se faire ermite aux environs. Il marquait une sympathie presque fraternelle aux divers animaux ; il y a l’histoire d’un chat, laquelle plus tard, racontée par lui à Jean-Jacques, faisait fondre en larmes celui qui, d’après Pythagore, s’indignait que l’homme en fût venu à manger la chair des bêtes. Un

  1. Nous emprunterons beaucoup à cette biographie de M. Aimé-Martin, mais sans prétendre du tout dispenser le lecteur d’y recourir, ainsi qu’aux débats qui s’y rattachent.