Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/131

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retrouvait d’accord avec la morale éternelle. Le clergé lui-même qui avait fait du chemin depuis les dernières années, et qui, en devenant moins difficile en fait d’auxiliaires, ne trouvait pas dans l’ouvrage nouveau les agressions directes dont Jean-Jacques avait embarrassé son spiritualisme, accueillit avec faveur ces hommages éloquents rendus à la Providence ; on opposait, dans des thèses en Sorbonne, Saint-Pierre à Buffon, l’auteur des Études à l’auteur des Époques. L’esprit était très-éveillé aux idées nouvelles de science en 1784 ; la chimie, la physique, allaient changer de face par les travaux des Laplace et des Lavoisier. Si elles avaient paru dix ans plus tard, en 95 ou 96, les Études eussent trouvé la nouvelle science déjà constatée et régnante, l’analyse victorieuse de l’hypothèse ; en 84 elles purent obtenir, même par leur côté le plus faux, un succès de surprise et les honneurs d’une vive controverse. Sans parler du poète Robbé qui se mêlait d’avoir des idées là-dessus, plus d’un chaud partisan se déclara pour le système des marées, la fonte des glaces, l’allongement du pôle. Et ce genre de succès fut peut-être le plus cher à l’auteur, dont il caressait la chimère : Jean-Jacques se glorifiait avant tout d’avoir fait le Devin du Village ; Girodet consumait ses veilles à devenir poète ; Alfieri se piquait d’être fort en grec, et Byron d’être le premier à la nage dans le Bosphore. Cherubini, dit-on, se pique de peindre.

Comme science, il ne nous appartient pas de juger les Études, et nous ne hasarderons qu’un mot. C’était certes une position à prendre, un point de vue heureux à relever vers cette fin du xviiie siècle, que d’assembler et de déduire les accords, les harmonies animées du tableau de la nature, et de faire sentir la chaîne et, s’il se pouvait, l’intention de ces douces lois. Charles Bonnet le tenta à Genève, et Bernardin de Saint-Pierre en France. On avait tant insisté sur les désaccords, les bouleversements, les hasards, qu’il y avait nouveauté à la fois et vérité dans ce parti. Bernardin refit en quelque sorte le livre de Fénelon, en profitant des observa-