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En 1784, La Fayette en est déjà à son troisième voyage d’Amérique : ce voyage de 1784, au commencement de la paix, fut un triomphe touchant et mérité qui ouvre pour lui cette série de marches unanimes et de processions populaires, dont il fut si souvent le héros et le drapeau. De retour en Europe, les années suivantes se passèrent pour lui en succès de toutes sortes, en voyages dans les diverses cours, très-amusants et qu’il raconte à ravir, en projets politiques et en applications sérieuses de son métier de républicain. La Fayette partage et devance le mouvement irrésistible et confiant qui poussait la société d’alors vers une révolution universelle. Ce qui me frappe, ce n’est pas tant qu’il croie, comme les plus habiles engagés dans le premier moment, à l’excellence des moyens nouveaux et à leur efficacité immédiate. Cela pourtant va un peu loin ; Washington le sent, et, à propos de ses louables efforts pour la réhabilitation civile des Protestants, il lui écrit, dès 1785, ces paroles d’une intention plus générale : « Mes vœux les plus ardents accompagneront toujours vos entreprises ; mais souvenez-vous, mon cher ami, que c’est une partie de l’art militaire que de reconnaître le terrain avant de s’y engager trop avant. On a souvent plus fait par les approches en règle que par un assaut à force ouverte. Dans le premier cas, vous pouvez faire une bonne retraite ; dans le second, vous le pouvez rarement si vous êtes repoussé. » Mais, encore une fois, cet entraînement enthousiaste a été trop manifeste chez tous ceux qui ont pris part au premier assaut contre l’ancien régime, pour qu’en le remarquant chez La Fayette on y voie alors autre chose qu’un surcroît d’émulation civique et de zèle, une intrépidité d’avant-garde avec les dehors du sang-froid. Ce qui me frappe donc, c’est la suite, c’est la persistance plus intrépide de sa foi aux mêmes moyens généraux, et sa méconnaissance prolongée de ce

    sur ces grands noms consolateurs de Charlemagne et de saint Louis ; et s’ils n’emportent pas la balance, ils empêchent le désespoir.