Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/189

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époque de la vie politique de Sieyès[1]. Je suis encore plus loin de chercher à attaquer ses moyens de justification, et je me suis contenté d’admirer les pages éloquentes où il nous peint le règne de l’anarchie et de la Terreur. A Dieu ne plaise que je cherche à appuyer l’horrible accusation de complicité avec Robespierre, dont il est si justement indigné ! à Dieu ne plaise que je me permette d’y croire ! mais il est une observation que je dois faire, parce qu’elle est commandée par mon amour inaltérable pour la liberté, par le sentiment profond que j’ai des devoirs d’un citoyen, et surtout d’un représentant français. L’accusation dont on a voulu souiller Sieyès est inique ; elle est fausse, et néanmoins il a mérité qu’on la fit. Je ne parle pas de cet ancien propos : « Ce n’est pas la noblesse qu’il faut détruire, mais les nobles, » propos que la calomnie peut avoir inventé ; je ne parle pas d’autres inductions, peut-être aussi mensongères, que la haine, la jalousie, et même le malheur peuvent avoir ou controuvées ou exagérées ; je parle de sa simple assiduité aux séances qui, bien loin d’être utile[2], ne put qu’être funeste à la chose publique, lorsque le silence d’un homme tel que lui semblait autoriser les décrets contre lesquels il ne s’élevait pas. Vingt-deux girondins, la plupart ses amis, ont péri sur l’échafaud pour s’être opposés à ces décrets. Plusieurs autres, et nommément Condorcet, ont expié des torts précédents par une proscription cruelle, fruit de leur résistance, et par une mort plus cruelle encore. Il n’y a pas jusqu’à Danton et Desmoulins qui n’aient eu l’honneur de mourir pour s’opposer à Robes-

  1. Sieyès avait divisé sa vie politique depuis 89 en trois époques. « Durant toute la tenue de l’Assemblée législative jusqu’à l’ouverture de la Convention, il est resté complètement étranger à toute action politique. C’est le troisième intervalle. » (Notice de Sieyès sur lui-même.)
  2. Après un tableau du règne de la Terreur, Sieyès ajoutait : « Que faire, encore une fois, dans une telle nuit ? attendre le jour. Cependant cette sage détermination n’a pas été tout à fait celle de Sieyès. Il a essayé plusieurs fois d’être utile, autrement que par sa simple assiduité aux séances. » (Notice de Sieyès sur lui-même.)