Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/30

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Molière avait ensuite brouillé le tout dans une prose qui en avait gardé trace. Fénelon, lorsqu’à propos de l’Avare il déclare préférer (comme aussi le pensait Ménage) les pièces en prose de Molière à celles qui sont en vers, lorsqu’il parle de cette multitude de métaphores qui, suivant lui, approchent du galimatias, Fénelon, poëte élégant en prose, n’entend rien, il faut le dire, à cette riche manière de poésie, qui n’est pas plus celle de Virgile et de Térence qu’en peinture la manière de Rubens n’est celle de Raphaël. Boileau, tout artiste sobre qu’il était et dans un autre procédé que Molière, lui rendait haute justice là-dessus ; il le reprenait sans doute quelquefois et aurait voulu épurer maint détail, comme on le voit par exemple en cette correction qui a été conservée de deux vers des Femmes savantes. Molière avait mis d’abord :

Quand sur une personne on prétend s’ajuster,
C’est par les beaux côtés qu’il la faut imiter.

M. Despréaux, dit Cizeron-Rival d’après Brossette, trouva du jargon dans ces deux vers et les rétablit de cette façon :

Quand sur une personne on prétend se régler,
C’est par ses beaux endroits qu’il lui faut ressembler. »

Mais, jargon ou non, il était le premier à proclamer Molière maître dans l’art de frapper les bons vers, et il n’aurait pas admis le jugement par trop dégoûté de Fénelon. Rien d’étonnant, au reste, que cette fine et mystique nature de Fénelon, dans sa blanche robe de lin, dans sa simple tunique, un peu longue, un peu traînante (en fait de style), n’ait pas entendu ces admirables plis mouvants, étoffés, du manteau du grand comique. Ce qui est ubéreux, surtout la gaieté, répugne singulièrement aux natures délicates et rêveuses. En dépit de ces juges difficiles, comme satire dialoguée en vers, les Fâcheux sont un chef-d’œuvre.

Durant les quatorze années qui suivirent son installation à