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superstitieux, de jolis ou grotesques sujets du Moyen-Age finissant, de nous rendre quelques-uns de ces joyaux, j’imagine, comme les Suisses en trouvèrent à Morat dans le butin de Charles le Téméraire[1]. Bertrand me fait l’effet d’un orfèvre ou d’un bijoutier de la Renaissance ; un peu d’alchimie par surcroît s’y serait mêlé, et, à de certains signes et procédés, Nicolas Flamel aurait reconnu son élève.

En répondant à la précédente ballade du Pélerin et en parlant aussi des autres morceaux insérés dans le Provincial, Victor Hugo lui avait écrit qu’il possédait au plus haut point les secrets de la forme et de la facture, et que notre Émile Deschamps lui-même, le maître d’alors en ces gentillesses, s’avouerait égalé. Par malheur Bertrand ne composa pas à ce moment assez de vers de la même couleur et de la même saison pour les réunir en volume ; mécontent de lui et difficile, il retouchait perpétuellement ceux de la veille ; il se créait plus d’entraves peut-être que la poésie rimée n’en peut supporter. Doué

  1. Je n’en veux pour témoin que ce chapelet de menus couplets défilés grain à grain en l’honneur de la défunte cité chevaleresque :

    DIJON
    BALLADE

    Ô Dijon, la Tille
    Des glorieux ducs,
    Qui portes béquille
    Dans tes ans caducs !

    Jeunette et gentille,
    Tu bus tour à tour
    Au pot du soudrille
    Et du troubadour.

    À la brusquembille
    Tu jouas jadis
    Mule, bride, étrille,
    Et tu les perdis.

    La grise bastille
    Aux gris tiercelets
    Troua ta mantille
    De trente boulets.

    Le reître qui pille
    Nippes au bahut,
    Nonnes sous leur grille,
    Te cassa ton luth.

    Mais à la cheville
    Ta main pend encor
    Serpette et faucille,
    Rustique trésor.

    Ô Dijon, la fille
     Des glorieux ducs,
     Qui portes béquille
     Dans tes ans caducs,

     Çà, vite une aiguille,
     Et de ta maison
     Qu’un vert pampre habille,
     Recouds le blason !