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Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/405

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L’est-il jamais devenu depuis lors dans le sens positif qu’on lui impute ? il y aurait lieu, en avançant, de le contester. Ce qui n’est pas douteux, c’est que M. de Maistre passait, non seulement dans sa jeunesse, mais beaucoup plus tard, tout près de la Révolution, pour adopter les idées nouvelles, les opinions libérales. Dans quel sens et jusqu’à quel point ? c’est ce qu’il a été impossible d’éclaircir, et l’on n’a pu recueillir à ce sujet que la particularité que voici :

Trop de latitude accordée au pouvoir militaire en matière civile ayant amené quelques abus dans une petite ville de Savoie, M. de Maistre témoigna assez hautement sa désapprobation pour s’attirer, de la part de l’autorité supérieure à Turin, une vive réprimande. Peu de temps après, lorsque la Savoie fut envahie, il trouva piquant de se disculper, au moyen de cette lettre ministérielle, du reproche de servilisme que lui lançait quelque partisan de la nouvelle république, quelque fougueux Allobroge de fraîche date.

L’abbé Raynal étant venu à Aix en Savoie, M. de Maistre, fort jeune encore, alla le voir avec quelques amis ; mais une première visite suffit à la connaissance : l’absence de dignité dans l’homme le détrompa vite (s’il en était besoin) des déclamations philanthropiques de l’historien.

Du reste aucun événement proprement dit, ayant trait à la vie extérieure de M. de Maistre en ces années, n’a laissé de souvenir ; sa situation était plus que jamais assise, un mariage vertueux avait achevé de la fixer ; il aurait pu consumer, enfouir ainsi dans l’étude, dans la méditation, dans ces sortes d’extraits volumineux qu’on fait pour soi-même et auxquels manque toujours la dernière main, cette foule de pensées et de trésors dont on n’aurait jamais démêlé le titre ni le poids ; il aurait pu, en un mot, ne jamais devenir le

    tuel de l’âme, tout à fait indépendant des circonstances. Le sage, au sein du calme, fait toutes les dispositions qu’exige la tempête, et quand Titus est sur le trône, il est prêt à tout, comme si le sceptre de Néron pesait sur sa tête… »