Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/111

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touche fort peu. Il est besoin, selon une expression heureuse, de faire l’esprit, de faire le goût : l’étoffe un peu roide a besoin d’un certain usé pour acquérir toute sa souplesse et son délicat. Au reste, ceux et surtout celles qui sont dignes d’avoir du goût y arrivent assez tôt, et de bien des manières. On se rappelle cette charmante et toute jeune Mlle  de Saint-Germain chez Hamilton, qui avait tout bien dans sa personne, hormis les mains : « Et la belle se consoloit de ce que le temps de les avoir blanches n’étoit pas encore venu. »

À cet égard, tout épicurien qu’il se montre en bien des endroits, le chevalier ne sait sans doute pas la recette aussi bien que les Grammont, les Hamilton, ces voluptueux rompus à l’art de plaire. Lui qui nous parle si souvent de Pétrone et de César, ces honnêtes gens de l’antiquité, il ne s’est peut-être jamais posé, dans toute sa portée morale, la question délicate et périlleuse : « A quel prix le goût se perfectionne-t-il ? et quel mélange secret le mûrit le mieux ? » Mais, dans sa méthode plus honnête et moins hasardée, il sait trouver de bons conseils. Avec les femmes il recommande les procédés qui servent à montrer l’esprit tout en favorisant le sentiment. Il a remarqué que celles qui ont le plus d’esprit, dit-il, préfèrent à trop d’éclat et à trop d’empressement je ne sais quoi de plus retenu. Selon lui, on est trop prompt à leur jeter son cœur à la tête, et on leur en dit plus d’abord que la vraisemblance ne leur permet d’en croire, et bien souvent qu’elles n’en veulent : « On ne leur donne pas le loisir de pouvoir souhaiter qu’on les aime, et de goûter une certaine douceur qui ne se trouve que dans le progrès de l’amour. Il faut longtemps jouir de ce plaisir-là pour aimer toujours, car on ne se plaît guère à recevoir ce qu’on n’a pas beaucoup désiré, et quand on l’a de la sorte, on s’accoutume à le négliger, et d’ordinaire on n’en revient plus. » Pour le coup, on reconnaît, assez bien, ce me semble, le maître de Mme  de Maintenon ; et qui donc