Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/147

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deux enfants de huit à dix ans, et dont elle se moquait à douze : « Comme on nous voyait toujours ensemble, les gouverneurs et les gouvernantes en firent des plaisanteries entre eux, et cela vint aux oreilles de mon aga, qui comme vous le jugez, fit un beau roman de tout cela. » Serait-ce à propos de ce bruit, commenté et grossi après coup, que la semonce aurait été écrite ? A-t-elle pu l’être de Constantinople même et en prévision du retour, ce qui serait une grossièreté de plus ? Quoi qu’il en soit, dans cette même lettre où Mlle  Aïssé raconte ses amours enfantines, elle ajoute, en s’adressant à son amie, Mme  de Calandrini : « Quoi ! madame, vous me croiriez capable de vous tromper ! Je vous ai fait l’aveu de toutes mes faiblesses ; elles sont bien grandes ; mais jamais je n’ai pu aimer qui je ne pouvais estimer. Si ma raison n’a pu vaincre ma passion, mon cœur ne pouvait être séduit que par la vertu ou par tout ce qui en avait l’apparence. » Un tel langage dans une bouche si sincère, et de la part d’une conscience si droite, n’exclut-il pas toute liaison d’un certain genre avec M. de Ferriol ? Il n’y en a pas trace dans la suite de ces lettres à Mme  de Calandrini. Chaque fois qu’Aïssé, dans cette confidence touchante, se reproche ses fautes, ce n’est que par rapport à une seule personne trop chère, et il n’y paraît aucune allusion à une autre faiblesse, plus ou moins volontaire, qui aurait précédé et qu’elle aurait dû considérer, d’après ses idées acquises depuis, comme une mortelle flétrissure. Lorsqu’elle résiste aux instances de mariage que lui fait son passionné chevalier, parmi les raisons qu’elle oppose, on ne voit pas que la pensée d’une telle objection se soit présentée à elle ; elle ne se trouve point digne de lui par la fortune, par la situation, et non point du tout parce qu’elle a été la victime d’un autre. Lorsqu’elle parle de l’ambassadeur défunt, elle le fait en des termes d’affection qui n’impliquent aucun ressentiment, tel qu’un pareil acte aurait dû lui en laisser. « Pour parler de la vie