Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/17

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jusque dans les dernières pièces du recueil, il y en a au moins quelques-unes encore du poëte, et que la plupart ne sont pas indignes de lui. Jouissons donc, sans tant de retard, de l’œuvre elle-même. Pour plus de netteté, nous diviserons notre examen en trois parts : 1° nous parcourrons les pièces purement pastorales, celles qui nous manifestent Théocrite comme le maître incomparable du genre ; 2° nous insisterons sur quelques morceaux plus élégiaques qu’idylliques, mais d’une extrême beauté, tels que la Magicienne, le Cyclope, et dans lesquels Théocrite s’est placé au premier rang parmi les peintres de la passion ; 3° enfin, si nous voulions être complet, nous aurions à dire quelque chose des pièces de divers genres, héroïques, épiques, satiriques, dont quelques-unes (comme les Syracusaines), moins originales peut-être au temps de Théocrite, sont pour nous des plus neuves et nous rendent des tableaux de mœurs au naturel. Voilà un bien grand cadre que nous nous traçons. Les premières parties, faut-il l’avouer ? sont celles qui nous attirent le plus et les seules qui nous semblent peut-être à notre portée : c’est par là que nous commencerons, dussions-nous faire comme les anciens scholiastes eux-mêmes et nous arrêter à moitié chemin.

Les pièces pastorales, qui se présentent les premières et les plus originales du recueil de Théocrite, sont à la fois d’une variété qui ne laisse rien à désirer. On peut dire à la lettre de la flûte du poëte, comme il le dit volontiers du syrinx de ses bergers, que c’est une flûte à neuf voix ; tous les tons s’y trouvent[1]. La première idylle, par exemple, est du ton plein et moyen de la poésie bucolique. D’autres idylles montent ou descendent : la quatrième, par exemple, entre Battus et Corydon, n’est réellement pas un chant, et n’offre qu’une causerie fredonnée à peine, un peu maigre

  1. Voir, dans le joli roman de Daphnis et Chloé (liv. II), l’endroit où le bon Philétas montre aux beaux enfants tout l’artifice du syrinx.