Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/18

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et agreste de propos, et très-voisine de la prose. Tout à côté, la dispute du chevrier et du berger, Comatas et Lacon, a comme trait dominant la note aigre, stridente, que rachète aussitôt après la charmante mélodie des deux jeunes bouviers adolescents, Damœtas et Daphnis, qui semblent chanter à l’unisson. Mais ce qu’il y a de plus pur, de plus chaste et de plus suave dans cette flûte aux neuf voix, me paraît sans contredit l’adorable idylle entre les deux enfants, Daphnis et Ménalcas, de même que le morceau où ce ton monte, éclate et se déploie avec le plus de plénitude et de richesse, est l’admirable chant des Thalysies ou Fêtes de Cérès, et la description qui le couronne. Nous ne saurions tout parcourir en détail de ces divers tons ; nous en toucherons pourtant quelques-uns.

L’idylle première pose tout d’abord la scène, et retrace, vivement aux yeux l’ensemble du paysage qui va être le théâtre habituel de ces luttes pastorales. Dès le premier vers, on entend le bruissement du pin qui chante près des sources : le berger Thyrsis, s’adressant à un chevrier dont on ne dit pas le nom, l’engage aussi à chanter. On est au milieu du jour ; Thyrsis lui montre un tertre abrité, en le lui décrivant, et l’invite à s’y asseoir, tandis que lui il aura soin du troupeau. Mais le chevrier lui explique (ce que le pasteur de brebis ne sait pas) qu’il craindrait de réveiller le dieu Pan, qui a coutume de dormir à cette heure du jour ; il lui indique de préférence un autre lieu ombragé, où président des dieux plus indulgents, Priape et les Nymphes des fontaines ; et à son tour il le prie de chanter. Ces images de lieux sont à la fois grandes et distinctes. On sent, même avec une oreille à demi profane, combien dans ce dialecte dorien l’ouverture des sons se prête à peindre largement les perspectives de la nature. Ce dialecte est grandiose et sonore ; il est plein ; il réfléchit la verdure, le calme, la fraîcheur, le vaste de l’étendue, l’éclat de la lumière. « Je ne comprends pas de peinture, a dit un grand écrivain