Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/240

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blement ennuyé. Toute la cour y allait, il a bien fallu y aller. Pendant sept mortelles heures, enveloppé dans mon domino, un masque sur le nez et un beau chapeau avec une belle cocarde sur la tête, je me suis assis, étendu, chauffé, promené. « Vous ne tanze pas, monsieur le baron ? – Non, madame. – Der Herr Kammerjunker danzen nicht[1] ? – Nein, Eure Excellenz. » – Votre Altesse sérénissime a beaucoup dansé. – Votre Altesse sérénissime aime beaucoup la danse. – Votre Altesse sérénissime dansera-t-elle encore ? – Votre Altesse sérénissime est infatigable. » À une heure à peu près, je pris une indigestion d’ennui, et je m’en allai avant les autres. Mon estomac est beaucoup plus faible que je ne croyais ; mais, en doublant peu à peu les doses, il faut espérer qu’il se fortifiera.

« Le 6 au soir.

« Que faites-vous actuellement, madame ? Il est six heures et un quart. Je vois la petite Judith qui monte et qui vous demande : Madame prend-elle du thé dans sa chambre ? Vous êtes devant votre clavecin à chercher une modulation, ou devant votre table, couverte d’un chaos littéraire, à écrire une de vos feuilles[2]. Vous descendez le long de votre petit escalier tournant, vous jetez un petit regard sur ma chambre, vous pensez un peu à moi. Vous entrez. Mme Cooper bien passive, et Mlle Moulat bien affectée[3], vous parlent de la princesse Auguste ou des chagrins de miss Goldworthy. Vous n’y prenez pas un grand intérêt. Vous parlez de vos feuilles ou de votre Pénélope. M. de Charrière caressé Jaman ; on lit la gazette, et Mlle Louise[4] dit : Mais ! mais ! 

  1. « Monsieur le chambellan ne danse pas ? – Non, Votre Excellence. »
  2. Toujours les feuilles sur la révolution de Hollande.
  3. Ces deux dames avaient été gouvernantes dans de grandes maisons en Angleterre.
  4. Mlle Louise de Penthaz, sœur de M. de Charrière.