Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/460

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avait raison, et Fontenelle se trompait ; il était trop voisin de ces choses qu’il trouvait petites, pour en bien juger. Ces Mémoires, en effet, sont une image fidèle de la vie. Nous n’avons personne été élevés au couvent, nous n’avons pas vécu à la petite cour de Sceaux ; mais quiconque a ressenti les vives impressions de la jeunesse, pour voir presque aussitôt ce premier charme se défleurir et la fraîcheur s’en aller au souffle de l’expérience, puis la vie se faire aride en même temps que turbulente et passionnée, jusqu’à ce qu’enfin cette aridité ne soit plus que de l’ennui, celui-là, en lisant ces Mémoires, s’y reconnaît et dit à chaque page : C’est vrai. Or, c’est le propre du vrai de vivre, quand il est revêtu surtout d’un cachet si net et si défini. Huet (l’évêque d’Avranches) nous dit qu’il avait coutume, chaque printemps, de relire Théocrite sous l’ombrage renaissant des bois, au bord d’un ruisseau et au chant du rossignol : il me semble que les Mémoires de Mme de Staal pourraient se relire à l’entrée de chaque hiver, à l’extrême fin d’automne, sous les arbres de novembre, au bruit des feuilles déjà séchées.

21 octobre 1846.