Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/48

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reurs il met en fuite la vierge elle-même hors de la chambre virginale, et il arrache l’épousée à la couche encore tiède de l’époux. » – Cela dit, Simétha reprend en son nom et raconte comment, la crédule ! elle lui a pris la main pour toute réponse ; elle sent d’ailleurs qu’il n’y a guère à insister sur ce qui suit, et elle semble craindre d’en parler trop longuement à la chère Lune elle-même. Depuis ce jour tout était bien entre eux, jusqu’à ce que l’infidélité ait éclaté par l’absence et que le propos d’une vieille soit venu déchaîner la jalousie. Simétha termine ce solennel et lugubre monologue par des menaces et des serments de vengeance si les premiers philtres sont impuissants ; et disant adieu à la Lune brillante, qui lui a tenu jusqu’à la fin compagnie fidèle, elle congédie en même temps la foule des autres astres qui font cortège au char paisible de la nuit.

Telle est dans sa réalité et sans aucun déguisement cette Simétha qu’il ne faut comparer ni à la Didon de Virgile ni à la Médée d’Apollonius, si riches toutes deux de développements et de nuances, mais qui a sa place entre l’ode de Sapho et l’Ariane de Catulle. Chaque trait en est de feu, et l’ensemble offre cette beauté fixe qui vit dans le marbre.

Qu’on n’aille pas trop se hâter de conclure d’après cela ni croire que toutes les femmes de l’antiquité se ressemblaient. A côté d’Hélène il y avait Pénélope, et Alceste à côté de Phèdre. Ici même, sans sortir de Théocrite, en regard de l’ardente Simétha, il faut mettre sans tarder la douce, la pure et chaste Theugénis.

Cette dernière était une belle Ionienne, femme du médecin Nicias de Milet, de celui à qui Théocrite a dédié le Cyclope. Il lui adresse à elle en particulier une ravissante petite pièce, pleine de calme et de suavité, intitulée la Quenouille. L’estimable auteur des Soirées littéraires[1] ra-

  1. Coupé, Soirées littéraires, tome XIII, pages 3 et 183.