Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/513

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les Pensées, le génie de l’écrivain a quelquefois donné le change sur la méthode et sur le fond. L’éclat soudain de cette vive parole, l’impétuosité et presque la brusquerie du geste et de l’accent, font croire à quelque chose d’excessif, et même de maladif, qui tient à une singularité de nature. On se sent en présence d’un individu extraordinaire. Le travail de M. Vinet consiste à montrer qu’en mettant à part la qualité si incomparable du talent, tout homme a dans Pascal un semblable et un miroir, s’il sait bien s’y regarder. Il y a un Pascal dans chaque chrétien, de même qu’il y a un Montaigne dans chaque homme purement naturel. Creusez en vous-même, étudiez et sondez votre propre duplicité, plongez en tous sens au fond de l’abîme de votre cœur, et vous n’y trouverez pas autre chose que ce que Pascal vous a rendu en des traits si énergiques et si saillants. La théologie de l’auteur des Pensées, à la bien voir et en la dégageant des accessoires qui n’y tiennent pas essentiellement, porte en plein sur la nature morale de l’homme ; c’est là sa force et son honneur. On pourrait dire de M. Vinet lui-même, considéré dans son œuvre et dans sa vie, qu’il offrait en quelque sorte l’image d’un Pascal réduit et modéré, d’un Pascal plus aisément circoncis dans ses essors et dans ses désirs, mais dont le centre moral était le même et dont le cœur était comme taillé sur le cœur de l’autre.

J’indique l’esprit du travail de M. Vinet ; il serait difficile d’analyser ici une série de leçons et d’articles critiques qui sont déjà des analyses. Une idée qui est particulière à M. Vinet et à ses amis, et que les théologiens protestants ont volontiers accueillie, c’est que les Pensées de Pascal, dans l’état où les a mises la controverse récente, et ramenées plus que jamais à l’état de purs fragments grandioses et nus, sont par là même plus propres à un genre de démonstration chrétienne qui prend l’individu au vif, et peuvent devenir la base d’une apologétique véritable, tout entière fondée sur la nature humaine. Sans me permettre de contredire cette vue, qui se