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lieux de plaisance aussi bien que les fanaux du rivage s’illuminaient. Cette musique ainsi encadrée et bercée par les flots nous allait au cœur : « Oh ! rien n’y manque, m’écriai-je en montrant le ciel et l’astre si doux. » – « Oh ! non ! rien n’y manque ! » répéta après moi la plus jeune, la plus douce, la plus timide voix de quinze ans, celle que je n’ai entendue que ce soir-là, que je n’entendrai peut-être jamais plus. Je crus sentir une intention dans cette voix si fine de jeune fille : je crus (Dieu me pardonne !) qu’une pensée d’elle venait droit au poëte, et je répétai encore, en effleurant cette fois son doux œil bleu : « Non ! rien. » – Et, semblables à ces échos de nos cœurs, les sons déjà lointains de la musique mouraient sur les flots.

III
(1839.)

Ce soir, 31 mai, en descendant du Vésuve à cinq heures et demie, admirable vue du golfe : fines projections des îles sur une mer blanche, sous un ciel un peu voilé ; ineffable beauté ! découpures élégantes ; Capri sévère, Ischia prolongée, les bizarres et gracieux chaînons de Procida ; le cap Misène isolé avec sa langue de terre mince et jolie, le château de l’œuf en petit l’imitant, le Pausilippe entre deux doucement jeté : en tout un grand paysage de lointain, dessiné par Raphaël. – Oh ! vivre là, y aimer quelqu’un, et puis mourir !

IV

J’aime encore beaucoup à respirer les fleurs, mais je n’en cueille plus.

V

Pourquoi je ne fais plus de romans ? – L’imagination pour moi n’a jamais été qu’au service de ma sensibilité propre. Écrire un roman pour moi, ce n’était qu’une manière indirecte d’aimer et de le dire.