Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/87

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lettres et dans les vers de sa sœur. Ces deux femmes idolâtrent ce roi de leur sang dont elles sont glorieuses ; elles débordent sitôt qu’elles parlent de lui. La mère écrit à son fils captif comme madame de Sévigné à sa fille absente : « A ceste heure… je cuyde sentir en moy-mesme que vous seuffrez. » Marguerite se représente aussi comme une autre mère pour ce frère bien-aimé, quoiqu’elle n’ait que deux ans plus que lui ; et, le revoyant après une séparation, elle croit lire dans son seul regard toute une tendre allocution, qu’elle se traduit de la sorte à elle-même :

........ « C’est celluy que d’enfance
Tu as veu tien, tu le voys et verras ;
Ainsy l’a creu et le croys et croirras.
Ne crains donc, sœur, par crainte ne diffère ;
Je suis ton roy, aussy je suis ton frère.
Frère et petit n’as craint de me tenir
Entre tes bras ; ne crains donc de venir
Entre les miens, qui suis grand et ton roy :
Car en croissant croist mon amour en moy. »
Ainsy parla l’œil plain de charité,
Et voz deux bras dirent : C’est veritté[1]

Un éditeur instruit[2], qui, dans un premier travail, avait jugé fort sainement, selon nous, de Marguerite, a cru devoir revenir sur ce jugement dans une seconde publication, et il a été conduit par une interprétation laborieuse à dénoncer dans le cœur de cette princesse je ne sais quel sentiment fatal et mystérieux, dont son frère aurait été l’objet. Mais la lettre qui, par ses termes obscurs, avait fourni matière à l’équivoque, a été depuis lors éclaircie, rapportée à sa vraie date, et une explication naturelle l’a replacée au

  1. Page 183.
  2. . M. Génin. Il faut ajouter qu’il porta dans ses tergiversations et toute sa discussion sur Marguerite une passion singulière et cette humeur acariâtre qui lui était habituelle.