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lorsque, de sa prison d’Espagne, il lui écrivait dans une chanson :

Cuer resolu d’aultre chose n’a cure
Cuer resoQue de l’honneur.
Le corps vaincu, le cueur reste vainqueur.

[1]À défaut de beaux vers, ce sont là de hauts sentiments, et ils se font écho dans cette correspondance rimée entre le roi et sa sœur.

On s’est fort occupé de Marguerite dans ces derniers temps, et les publications réitérées dont elle a fourni le sujet l’ont de plus en plus mise en lumière. Les railleries à la Brantôme et les demi-sourires, dont on pouvait jusqu’alors s’accorder la fantaisie en prononçant le nom de l’auteur de l’Heptamèron, ont fait place peu à peu à une appréciation plus sérieuse et plus fondée. A travers les conversations galantes et libres qui étaient le bon ton du temps et où elle tenait le dé, on ne saurait méconnaître désormais en elle ce caractère élevé, religieux, de plus en plus mystique en avançant, cette faculté d’exaltation et de sacrifice pour son frère, qui éclate à tous les instants décisifs et qui fait comme l’étoile de sa vie. La duchesse d’Angoulême et ses enfants, Marguerite et François, s’aimaient tous les trois passionnément ; c’était, comme le dit Marguerite, un parfait triangle, et une vraie trinité. Les expressions triomphantes dont est rempli le Journal de la mère du roi, et qui rappellent le Latonœ pertentant gaudia pectus, se reproduisent dans les

  1. Est-il besoin de faire remarquer l’intention de ces allitérations, assonances et consonnances : cuer, cure, corps, cueur, vainqueur ? La poésie du xvie siècle est pleine de ces vestiges d’une versification antérieure. On lit à la page 12 du présent Recueil :

    Ne nul plaisir que nature nous donne
    Ne nous est riens, si bientost ne retourne.

    La rime n’y est pas, mais il y a assonance comme chez les anciens trouvères.