Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/102

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que sa mère ; qui suit par caprice matinal et comme en se promettant de fuir. Les détours sont longs, riants à l'entrée et fleuris ; la distance rassure : cette allée encore, puis cette autre ; au coin prochain de la charmille, il sera temps de se dérober ; et le coin de la charmille est passé, et l'on suit toujours.

L'entraînement machinal prend le dessus peu à peu ; déjà l'on ne bondit plus ; on ne dit plus : “ A ce coin là-bas, je fuirai ” ; on baisse le front ; les sentiers se resserrent, les pas alourdis s'enchaînent : l'imprudent agneau est devenu comme le bœuf stupide que l'on mène immoler. J'en étais là, mon ami ; je me livrais tête baissée, sans plus savoir, quand une rencontre subite, qu'elles firent au tournant d'une grille, emporta les folles créatures : des éclats bruyants accompagnés de moqueries, m'apprirent que j'étais éconduit et délivré. Mon premier mouvement, l'avouerai-je, fut un âpre et sot dépit ; je me sentais toute la confusion du mal, sans en avoir consommé le grossier bénéfice. Pourtant le remords lui-même arriva. Quand je fus rentré auprès de madame de Couaën ; que je la revis pâle, ayant pleuré et tout entière encore à l'incident du matin ; quand elle me dit : “C'est singulier, voici la première fois que je songe sérieusement aux choses ; d'aujourd'hui seulement elles m'apparaissent dans leur vérité. Les paroles de ces femmes ont été un trait affreux de lumière, dont je reste atteinte. Nous sommes engagés nos amis et nous mon mari, ces chers enfants que voilà (et elle les baisait avec tressaillement), dans une voie de ruine et de crimes. Comment n'avais-je jamais envisagé cela ? Mais non l'idée de ma pauvre mère et notre douce vie ombragée de là-bas m'avaient tout masqué. J'ai toujours été absorbée dans une seule pensée à la fois. ”

— En l'entendant s'exhaler de la sorte, je ne trouvais pas en moi ce que j'y aurais voulu d'inépuisable et de tendre pour mêler à