Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

revenait souvent, nous prêtâmes malgré nous l'oreille ; c'était en effet de l'attentat de nivôse, échoué il y avait juste deux ans à pareil jour, qu'il était question ; et l'horreur naïve avec laquelle ces femmes en parlaient me fit venir une sueur au visage : madame de Couaën elle-même, d'ordinaire indifférente sur ces sujets, pâlit. En quels complots étions-nous donc embarqués ? où tendions-nous ? avec quels hommes ? par quels moyens ? et quel serait le jugement public sur nos têtes ? Cette pensée fut à la fois celle de madame de Couaën et la mienne ; nous n'eûmes pas besoin de nous la communiquer ; un long silence coupa les gracieuses mysticités que nous déduisions tout à l'heure. Elle se plaignit de souffrir, et je la reconnaissais. Mais, moi, remué dans mes plus sombres idées par ce que j'avais entendu, je ne me tins pas au logis et m'en revins seul à la même allée du jardin. Les femmes qui causaient sur le banc n'y étaient plus : deux autres avaient succédé, dont l'une jeune, de mise éclatante et équivoque.

Sous le nuage de mes yeux, elle me sembla belle. Regards, chuchotements, marcher lent et tortueux, rires aigus, aussi perfides que le sifflement de l'oiseleur, tout un manège bientôt commença. Je m'y prêtai de loin plus qu'il n'aurait fallu : la pensée coupable remplaçait en moi la pensée sombre. Aux moments de perplexité et d'amertume, si Dieu est absent, si ce n'est pas à l'autel du bon conseil, si C'est dans les places et les rues qu'on se réfugie, la diversion sensuelle se substitue aisément au souci moral dont elle dispense. L'avenir prochain qui gêne à prévoir, l'éternité entière elle-même, disparaissent dans un point chatouilleux du présent. Les fruits sauvages des haies nous sont bons parce qu'ils engourdissent : l'homme se fait semblable aux petits des brutes. Pour me servir, mon ami, des fortes et chastes comparaisons de l'Ecriture, on est d'abord comme un agneau en gaieté qui suit une autre