Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/108

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nous souvent : Que sera-ce donc aux abords de la nôtre ? Que sera-ce après au choc formidable du rivage ?

Quand j'arrivai à la maison mon pauvre oncle respirait encore, mais il n'y avait plus aucun espoir, et son râle suprême était l'unique signe de vie. Depuis plusieurs heures il ne soulevait plus les paupières il ne balbutiait plus et ne témoignait plus rien entendre : ses derniers mots avaient été pour s'enquérir si je venais. Debout près du lit, je serrai doucement sa main dans la mienne et lui adressai la parole en me nommant. Il me sembla sentir une pression légère qui répondait ; une velléité de sourire à l'angle des lèvres acheva sa pensée, et jusqu'au dernier souffle, cette pression de sa main, quand je parlais se renouvela : il m'avait du moins reconnu. Ainsi je perdis l'être qui m'avait le plus aveuglément et le plus naïvement aimé au monde, qui m'avait le plus aimé par les entrailles.

J'étais en effet orphelin de père et de mère dès le bas âge, ce que j'ai omis de vous dire en commençant. Mon père, officier aux armées navales, avait péri sur le pont de sa frégate par un accident survenu dans une manœuvre. Ma mère, qui l'avait suivi de près m'était restée, à l'horizon de la mémoire, comme dans l'azur lointain d'un souvenir. Je me voyais en une antichambre carrelée où l'on me baignait d'ordinaire, les jours de dimanche et de fête : j'étais nu au bain et le soleil, qui entrait par la porte ouverte de la cour, tombait à terre sur le carreau en formant de longs losanges que je dessinerais encore. Mais tout à coup une musique militaire. jouant dans la rue et annonçant le passage de quelque troupe, se fit entendre ; je voulais voir, je m'écriai pour qu'on me portât aux fenêtres de la chambre voisine ; et les femmes qui étaient là hésitaient ou s'y refusaient, quand une autre femme pâle, en noir, entra brusquement, avec un grand bouquet de fleurs rouges, ce me