Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/112

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qui aime sans savoir pourquoi, et parce qu'on est plus ou moins proche par le sang.

Saisissez bien ma simple idée, mon ami ; je ne blâme point la jeunesse d'être expansive, de ne pas vouloir s'enraciner au seuil paternel et de se porter à la rencontre des autres hommes. Je sais que nous ne vivons plus sous l'ancienne loi, à l'ombre du palmier des patriarches ; que les mots d'inconnus et d'étrangère n'ont plus le même sens que du temps du Sage, et qu'il serait simple, en vérité, de redire avec lui, tant la communion de l'Agneau a tout changé : “ Ne donnez pas à autrui votre fleur, et vos années au cruel, de peur que les étrangers ne s'emplissent de vos forces et que vos sueurs n'aillent dans une autre maison. ” Il y a plus : cet élancement indéfini de la jeunesse, ce détachement des liens du sang et de la race, le peu d'acception qu'elle en fait, et son entière ouverture de cœur, pourraient être des précieux auxiliaires de la nouvelle alliance et de la fusion des hommes. Mais il ne faudrait pas dissiper cette expansion, riche de zèle, en traversée d'inconstance et d'erreur, en prédilections capricieuses et stériles. Et puis, certaines vertus inaliénables de l'ordre de famille ne devraient jamais disparaître même sous la loi de fraternité universelle, et quand le règne évangélique se réaliserait sur la terre.

Avec une nature aimante et qui, bien dirigée, eût suffi aux liens antérieurs comme aux adoptions nouvelles, je sus être à la fois indiscret dans mes attaches au-dehors et ingrat pour ce que je laissais derrière. Mon tort le plus réel à ce dernier égard, et qui me reste toujours au vif, tellement que je saigne encore en y songeant, tomba sur une bonne dame, parente et marraine de ma mère, et qui avait transporté d'elle à moi les mêmes sentiments augmentés de ce qu'y ajoutent l'âge et le souvenir des morts qu'on pleure. Il vint un moment, dans le fort de mes courses et diversions à la Gastine,