Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/113

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où je la visitais moins souvent ; et, après mon absorption à Couaën, je ne la vis plus du tout. Sa maison n'était pas très éloignée pourtant de la route qui menait de Couaën au logis de mon oncle ; mais on ne passait pas précisément devant, et, une fois le premier embarras créé, j'attendis, j'ajournai, je n'osai plus. Elle se montra d'abord toute indulgence ; elle s'informait de moi près de mon oncle, et mettait mes irrégularités sur le compte des occupations et des nouveaux devoirs ; mais quand après les mois et les saisons les jours de l'an eux-mêmes se passèrent sans que je la visse, il lui échappa de se plaindre, et elle dit un jour : “ Ne reverrai-je donc plus Amaury, une fois au moins avant ma mort ? " Je sus ce mot, je me promis d'y aller et je ne le fis pas. En partie mauvaise honte, en partie distraction aveugle, j'étais barbare. Qu'avez-vous pu penser de moi, à vieille amie de ma mère ? M'avez-vous cru véritablement ingrat et gâté de cœur ? m'avez-vous jugé plus fier et plus dur avec l'âge, et devenu soudainement méprisant pour ceux qui m'aimaient ? A l'heure suprême, où présent, vous m'eussiez béni comme une aïeule, avez-vous conçu contre mon oubli inexplicable des pensées sévères ? Et aujourd'hui que vous lisez en moi, aujourd'hui que j'ai si souvent prié pour vous et que votre nom fidèle me revient à chaque sacrifice dans la commémoration des morts, Ame bienfaitrice, au sein des joies de Marie, m'avez-vous pardonné ?

Comme les amitiés humaines sont petites, si Dieu ne s'y mêle ! comme elles s'excluent l'une l'autre ! comme elles se succèdent et se chassent, pareilles à des flots ! Voyez, comptez déjà, mon ami. J'avais déserté le logis de la marraine de ma mère pour la Gastine, et voilà que la Gastine elle-même est bien loin. Couaën, qui a succédé, se maintiendra-t-il ? Nous sommes près, hélas !