Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/114

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d'en partir et, durant ces années qui suivront, je vais m'appliquer à l'oublier. O misère ! cette maison où vous allez soir et matin qui vous semble la vôtre et meilleure que la vôtre, et pour laquelle toute précédente douceur est négligée, si l'idée de Dieu n'intervient au seuil et ne vous y accompagne, cette maison soyez-en sûr, aura tort un jour ; elle sera évitée de vous comme un lieu funeste, et, quand votre chemin vous ramènera par hasard auprès, vous ferez le grand tour pour ne point l'apercevoir. Plus vous êtes doué vivement, et plus ce sera ainsi. Vous irez ensuite en une autre maison, puis en une troisième, comme un hôte errant qui essaie de s'établir, mais vous ne reviendrez pas à la première ; et celle qui vous retiendra en vos dernières années et à laquelle vous paraîtrez plus fidèle, le devra simplement à l'habitude prise, à votre fatigue, à votre apathie finale, à cette impuissance d'aller plus loin et de recommencer. Et le sentiment de la fuite et du déplacement inévitable des liaisons purement humaines, lorsqu'on a déjà éprouvé deux ou trois successions de ce genre, devient tel en nous que, souvent, jeunes encore et avides d'un semblant d'aimer, nous n'avons plus assez de foi pour nous livrer sérieusement à des essais nouveaux. Le simulacre de durée qui embellit toute origine ne nous séduit plus.

Nous montons donc l'escalier des amis d'aujourd'hui, nous disant que probablement, dans un an ou deux, nous en monterons quelque autre ; et le jour où cette prévoyance nous vient, nous sommes morts de cœur à l'amitié. Il n'y a de durable et de placé hors de la merci des choses, à l'épreuve de l'absence même, des séparations violentes et des naufrages, que ces amitiés pour parler avec un aimable moderne, en présence desquelles Dieu nous aime et qui nous aiment en présence de Dieu ; sur lesquelles, aux heures orageuses descend comme un câble de salut, la foi aux mêmes objets éternels