Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/117

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gagna moi-même, et, tout en essayant de la combattre en elle, j'en restai préoccupé. j'y ai repensé sérieusement depuis : ce n'est jamais moi qui nierai, bien que j'en aie été favorisé en aucun temps, ce mode de communications étranges, ces harmonies intermédiaires que Dieu a tendues pour les rares usages et dont l'aile des esprits bons ou mauvais peut, en passant, tirer des accords justes ou prestigieux.

Il est des époques et des nœuds dans notre vie où, après une longue inaction les événements surviennent tous à la fois et s'engorgent comme en une issue trop étroite : ainsi cette courte semaine ne suffisait pas aux accidents. M. de Greneuc infirme et alité depuis quelques mois, étant mort vers le temps de notre voyage, madame de Greneuc se décida à quitter cette résidence de deuil pour une autre terre en Normandie. Je ne fis mes adieux qu'aux derniers moments. La digne dame était morne et sans parole.

Mademoiselle Amélie, égale, attentive comme toujours avait sensiblement pâli, et sa voix, redoublant de douceur dans sa simplicité, avait acquis, même sur les tons très bas, un son liquide continu qui allait à l'âme et faisait peine :

Combien il avait fallu de larmes épanchées au-dedans pour attendrir à ce point et pénétrer cette jeune voix ! Elle se trouvait près de la porte de la chambre quand j'y entrai ; à mon apparition, une subite rougeur la trahit, qui, en s'éteignant presque aussitôt, marqua mieux cette pâleur habituelle. Moi, j'étais gauche, contraint, à faire pitié ; je me rejetais dans les banales ressources de condoléance et de politesse ; je n'entamais rien. Elle eut compassion de mon embarras, et me remit avec aisance dans l'ancien train de causerie et de questions sur Couaën ; elle me fit conter notre voyage. Madame de Greneuc nous ayant laissés seuls un instant, j'essayai enfin d'aborder le point essentiel, sentant que C'était l'heure ou jamais et en même temps ne pouvant