Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/118

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et n'osant qu'à demi. Oh ! qu'il est difficile d'avancer d'un pied ferme, quand les longues herbes d'un sentier presque oublié sont devenues glissantes et visqueuses comme des serpents ! " Quelque part qu'elle allât, lui disais-je, elle devait compter sur mon souvenir constant et profond sur l'intérêt fidèle dont je l'accompagnerais dans son séjour nouveau et dans ses ennuis. Cette séparation, d'ailleurs, ne pouvait durer ; nous nous reverrions à coup sûr avant peu, et, jusque-là, il fallait qu'elle crût à la vigilance de toutes mes pensées. ” j'en étais encore à tourner dans ce vague cercle quand madame de Greneuc rentra. Paroles misérables, et pourtant aussi sobres d'artifice que mon intention lâche et double le comportait ! Je tâchais à la fois d'exprimer ce que j'éprouvais réellement, et de paraître exprimer ce que je n'éprouvais pas, d'être sincère avec moi et trompeur avec elle ; ou plutôt, à le bien prendre, je ne cherchais qu'à me tirer décemment d'une crise pénible, sans viser même à donner le change sur le fond ; car cela signifiait trop clairement : “ Comptez sur moi comme moi-même, mais n'y comptez pas plus que moi.

Je suis tout vôtre, si jamais je puis l'être ; je voudrais vouloir, et je ne veux pas !” Mademoiselle Amélie, en m'entendant, était restée naturelle, patiente, m'acceptant à ma mesure, ne venant que jusqu'où j'allais, ne témoignant dépit ni surprise, ni persuasion outrée, ni résignation qui se mortifie : à un moment où je lui tendais la main, elle me la toucha. Enhardi pourtant par la rentrée de madame de Greneuc et souhaitant arriver à une espèce de conclusion, je me mis à parler vivement des circonstances politiques et de l'incertitude qui enveloppait encore toutes les existences de jeunes hommes d'ici à un temps plus ou moins long, à deux ans au moins, et je revins avec assez d'affectation sur ce terme de deux ans auquel il fallait ajourner, disais-je, toute détermination