Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/120

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fourvoyés et attardés dans les ravins neigeux, n'y furent qu'une heure après moi ; ce qu'il y avait de papiers dangereux était déjà anéanti. Madame de Couaën reçut ce monde avec une sorte de tranquillité, et me laissa tout faire ; ils se saisirent de quelques lettres insignifiantes que j'avais oubliées à dessein. Le matin suivant, nous étions elle et moi avec les enfants en route pour Paris. Stricte convenance ou non dans ce rôle de conducteur à mon âge, il n'y avait pas ici à hésiter ; j'étais l'ami le plus intime, le seul présent. les autres en fuite et en frayeur. Elle accepta mes offres. non comme des offres, sans objection sans remerciement ;. absorbée qu'elle était et douloureuse, toute à cette pensée du danger des siens.

Ce fut ainsi durant le voyage : elle recevait chaque soin passivement, et comme un enfant docile. J'en étais à la fois touché comme de l'amitié la plus naïve, et blessé peut-être un peu dans cette portion d'égoïsme qui se mêle toujours au dévouement. J'agissais pourtant sans réserve : son inquiétude était bien la mienne. Je me demandais par moments avec effroi ce qu'elle deviendrait si l'on m'arrêtait aussi. Un grand besoin d'arriver nous occupait ; notre éternel entretien cette fois dépouillé de charme, se composait de deux ou trois questions qu'elle me répétait sans cesse, et de mes réponses de vague assurance que je variais de mon mieux.

Nous descendîmes le premier soir au petit couvent. Sauf cette nuit d'arrivée, madame de Couaën voulait aller loger ailleurs, de peur d'être par son séjour une occasion d'inquiétude ; madame de Cursy s'y opposa formellement, Mais il fut convenu entre madame de Couaën et moi, nonobstant toutes raisons de notre bonne tante,