Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/136

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du serpent qui s'apprête. La conscience du mal certain que j'allais consommer m'animait le front et le regard. De bonne heure avant le dîner, je passai dans l'autre Paris ; en marchant, je frappais d'un talon plus sonore le pavé durci des ponts, et je portais plus haut la tête vers ce ciel émaillé des vives parcelles d'une gelée diffuse. Çà et là, à droite et à gauche, je regardais fièrement comme pour m'applaudir.

Qui donc regardais-je ainsi, à mon Dieu ? Comment cette joie et ce rayonnement sinistre là où il aurait fallu se voiler ? et d'où vient que je bondissais en de tels abords ? Je ne tenais plus à la pureté que par le dernier lien matériel, et ce faible lien me pesait, et j'étais fier d'aller le rompre, comme le violent qui marche à une vengeance. C'est que la volupté, qui produit vite l'humiliation, débute aussi par l'orgueil ; c'est que l'amour du plaisir n'est pas tout chez elle ; c'est que la vanité aussi, l'émulation dans le mal, la révolte contre Dieu, sont là comme une irritation de plus sur le seuil : le petit d'Israël, qui fut docile et pur, veut devenir pareil aux géants. Ainsi, moi qui eusse rougi d'être vu et suivi de personne en particulier, j'étais glorieux à l'avance devant tous ces inconnus et devant moi-même.

Quoiqu'il fût grand jour encore, je me mis sans tarder à parcourir les lieux et les rues accoutumés ; je remarquai, mais d'un oeil plus sévère, ces écueils qui, à la première vue, m'avaient tous paru gracieux et riants : il n'y en avait presque aucun qui gardât le pouvoir de m'éblouir. Mon cœur, cette fois, battait plus fort, à coups plus serrés et plus durs : je m'arrêtais par moments pour tâcher de l'apaiser.

Ne voulant rien fixer avant l'heure du soir, et déjà bien las je me jetai en un café, où je dînai seul, au fond ; j'en sortis repu, échauffé, dans le brouillard piquant et les lumières de la nuit, tout entier de nouveau à ma course et à ma recherche. Aussi ardent, quoique moins difficile, je recommençai