Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/137

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en quelques minutes mes tours rapides exterminants : il me restait assez peu de délicatesse pour le choix, et de scrupules distincts ; j'avais seulement cette vague idée que, nulle des créatures aperçues n'étant digne par l'âme des transports que j'allais offrir, il fallait du moins que la beauté charnelle triomphât et que ce fût Vénus elle-même.

Je prolongeais donc outre mesure et contre mon but, l'exigeante recherche, et bientôt comme de coutume, je perdis tout sens toute lucidité, si bien, que de guerre lasse, à la fin (merveilleux bonheur !), je tombai sans choix aucun sans attrait, absurdement, à une place quelconque, et uniquement parce que je m'étais juré de tomber ce jour-là.

A partir de ce jour funeste, et une fois l'impur ruisseau franchi, un élément formidable fut introduit dans mon être ; ma jeunesse, longtemps contenue, déborda ; mes sens déchaînés se prodiguèrent. Il y a deux jeunesses dont l'une suit l'autre en nous mon ami : la première, exubérante, ascendante, se suffisant toujours ne croyant pas à la fatigue. n'en faisant nul compte, embrassant à la fois les choses contraires, et lançant de front tous ses coursiers. Il y en a une seconde, déjà fatiguée et avertie, qui conserve presque les mêmes dehors, mais à qui une voix crie souvent holà ! en dedans ; qui ne cède guère qu'à regret, se repent vite d'avoir cédé, et ne mène plus d'un train égal l'esprit et le corps tout ensemble. l'entrais alors en plein dans la première. Ma vie double s'organisa désormais : d'une part, une vie inférieure, submergée, engloutie ; de l'autre, une vie plus active de tête et de cœur. Les matins d'ordinaire, l'esprit, l'intelligence en moi prenait revanche avec excitation et avidité d'étude sur l'abaissement de la veille. Les soirs même, au retour, la vie subtile de cœur, à côté de mon amie, se substituait immédiatement au trouble épais de l'heure précédente. Quelquefois, au sortir à peine de cette fange, tandis que