Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/145

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chef de l'Empire, qui, pendant l'intervalle des camps n'était pas fâché que notre Capoue absorbât les idées superflues de ses guerriers, entrevoyait mieux la vérité haute. Ce n'est, en effet, dans aucun des actes extérieurs et superficiels que se trahit cet inconvénient d'un désordre de sens assez ménagé ; militaires, commis ou courtiers, n'en seront pas moins très suffisants à la bataille prochaine, à la promenade du boulevard à leur conversation encravatée, à leur tracas financier et bureaucratique. Mais si nous entrons dans la sphère vive et spirituelle, dans celle des idées, là tout contrecoup est un désastre, toute déperdition une décadence. De ce point de vue, lequel n'a rien d'imaginaire, je vous jure, qui dira combien dans une grande ville, à de certaines heures du soir et de la nuit, il se tarit périodiquement de trésors de génie, de belles et bienfaisantes œuvres, de larmes d'attendrissement, de velléités fécondes détournées ainsi avant de naître, tuées en essence, jetées au vent dans une prodigalité insensée ? Tel, qui était né capable d'un monument grandiose, coupera, chaque soir, à plaisir, sa pensée, et ne lancera au monde que des fragments. Tel, en qui une création sublime de l'esprit allait éclore sous une continence sévère, manquera l'heure, le passage de l'astre, le moment enflammé qui ne se rencontrera plus. Tel, disposé par la nature à la bonté, à l'aumône et à une charmante tendresse, deviendra lâche, inerte ou même dur. Ce caractère, qui était près de la consistance, restera dissipé et volage. Cette imagination qui demain aurait brillé d'un mol éclat velouté, ne le revêtira pas. Un cœur, qui aurait aimé tard et beaucoup, gaspillera en chemin sa faculté de sentir. L'homme qui fût resté probe et incorruptible, s'il se disperse, à vingt-cinq ans aux délices, apprendra à fléchir à quarante et s'accommodera aux puissants. Et tant de suites proviendront de cette seule infraction même modérément