Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/157

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je m'effrayai d'avoir tant changé depuis hier et tant vécu. Madame de Couaën lut la lettre et fut touchée, à sa manière, de ce discret parfum. Quelques lignes reconnaissantes de sa main ajoutèrent à la réponse que je fis.

La jeune dame R. était enfin installée à Auteuil : son mari, très occupé, n'y venait qu'irrégulièrement et n'y restait qu'un petit nombre d'heures ; bien qu'il fût homme aimable, et parfait d'attentions pour elle, on s'apercevait que quelque cause profonde de refroidissement contribuait à fixer entre eux ces relations d'égards plutôt que de tendresse. Sans être entièrement délaissée, elle semblait donc désabusée, triste et un peu veuve. Dans ses visites de chaque jour à madame de Couaën, qu'elle tâchait d'obliger de toutes les manières imaginables, il ne lui arrivait guère d'ouvrir la bouche sur elle-même. Elle paraissait voir notre intimité sans envie, d'un sourire silencieux et doux. Le plus souvent, lorsque j'arrivais et que j'étais assis, elle nous laissait sous quelque prétexte après un instant.

Cette vie régulière nous mena ainsi durant plusieurs mois. On était tout à la fin d'août ou peut-être au commencement de septembre , lorsqu'un jour où madame de Couaën indisposée gardait le logis, j'allai seul à la maison de santé. Le marquis n'était pas dans son appartement ; je le découvris, après quelque recherche, à l'extrémité du jardin au plus épais des bosquets ; il s'y promenait avec une autre personne que je n'avais jamais vue, et il me fut évident, par l'attention qu'ils donnèrent à mon approche, que je rompais un entretien confidentiel. Cette personne n'avait rien d'ailleurs que de naturel et d'ouvert ; jeune encore, d'une taille robuste, d'un embonpoint marqué, mais plein d'aisance ; une de ces physionomies qui préviennent par un mélange de distinction et de rondeur ; l'accent agréable, l'oeil à fleur de tête, clair et résolu. Mais le