Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/158

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marquis bien que toujours maître de lui dans les choses volontaires, avait en ce moment, pour moi qui le connaissais, le teint du visage et le ton de la voix très altérés, comme lorsque ses cordes profondes étaient en jeu. Avant que la personne eût parlé de prendre congé, il me pria d'attendre là, au même endroit du jardin, et tous les deux continuèrent de s'entretenir en s'éloignant. Lorsqu'il reparut, après quelques mots insignifiants qui ne détournaient pas nos pensées : " Savez-vous qui vient de sortir ? me dit-il tout d'un coup très bas et en me serrant le bras violemment. C'est Georges, le général Georges qui nous arrive d'Angleterre !" A ce nom je fus moi-même comme bouleversé : “ Vous n'allez pas du moins vous rembarquer dans une entreprise ! ? ” m'écriai-je. - “ Eh non ! faut-il vous le répéter encore ? (et il accompagnait sa réponse d'un rire aigu attristant) ne le savez-vous pas assez ? ma vie, à moi, est faite, je ne ressusciterai pas. Georges est venu pour des indications que, seul, je pouvais lui donner ; je ne le verrai plus. ” La disposition sardonique du marquis me faisait peine ; elle s'adoucit un peu sitôt qu'il donna cours aux sentiments qui l'agitaient. Je l'interrogeai d'abord sur Georges ; il prit feu à ce sujet et m'instruisit beaucoup.

Georges, je le savais bien déjà, n'était pas un conspirateur vulgaire ni un de ces braves désespérés, comme on en peut trouver dans toutes les causes. Plusieurs détails de sa correspondance avec le marquis m'avaient attesté chez lui de la grandeur, du plan, et une conception vigoureuse ; mais les deux dernières années l'avaient surtout mûri : les hommes de tous rangs, qu'il avait pratiqués et serrés de près durant son exil, étaient désormais une vaste échelle pour son jugement. Le besoin de purger cet attentat de nivôse, dont l'idée, sinon le mode précis, lui appartenait bien pesait à son cœur et le provoquait à quelque grand