Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/168

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détour, sans trop d'embarras ; je lui racontai comment je devais à la confiance du marquis de m'être enflammé pour le futur tournoi. Aux représentations amicales qu'il me fit sur la gravité du risque et le peu de nécessité de m'y lancer n'étant pas du métier, je répondis par un aveu succinct, mais expressif, de ma situation, de mon ennui, de mon impatience d'agir. C'était, il le vit bien, l'emploi chevaleresque de mes forces qui me tentait, plutôt que la satisfaction d'une haine politique. Mon récit franc lui alla au cœur ; il me tendit la main, me promit le secret vis-à-vis du marquis, et que, si le choc avait lieu, j'en serais pour sûr.

En attendant, il exigeait que nous n'eussions aucune relation suivie, pour ne pas me compromettre en pure perte. Avant de nous séparer, j'obtins pourtant qu'il m'accompagnât une minute jusqu'à ma chambre, tout près de là, afin de savoir de ses propres yeux où m'atteindre, afin aussi de connaître un asile de plus au besoin.

Ceci réglé, il y eut d'abord en moi un grand calme et un entier contentement. J'étais débarrassé du poids intérieur qui me pesait le plus, du souci indéfini de l'avenir. Une espèce de colonne éclatante ou sombre, mais grandiose et toute posée, déterminait mon horizon ; il me semblait que, d'ici là, j'avais le droit de vivre, de m'ébattre dans la plaine et de me multiplier. Toutes les vivacités de l'âge, toutes les irradiations de la jeunesse brillèrent de nouveau. Mes amis me revirent plus à eux, plus expansif et ingénieux à leur plaire. Je pouvais assister désormais aux parades, aux splendeurs militaires sans haine ni aigreur : mon regard était celui d'un rival qui s'apprête et qui mesure, en passant, la hauteur du camp ennemi avec une sorte d'orgueil. Comme simulacre et prélude, j'allais à une salle d'armes, et je me remis à l'escrime passionnément. Dans mon amour des contraires, les études elles-mêmes gagnaient à