Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/170

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par instants ses murmures, une fois comblé d'autre part, je l'aurais fait taire : tout zéphir des bois eût chassé mes regrets. L'action ambitieuse, je l'aurais prise aisément en pitié ; l'étude, je n'en eusse tiré que la fleur. Il est doux à l'esclave d'amour de cultiver l'oubli. La religion, hélas ! je l'aurais accommodée sans doute aussi au gré de mon cœur et de mes sens ; j'en aurais emprunté de quoi nourrir et bercer mes fades remords ; j'en aurais fait un couronnement profane à ma tendresse.

Voilà, de rêve en rêve, en quel abandon j'étais venu.

Excepté la volupté, mon ami, je n'ai jamais, durant ces temps, voulu aucune autre chose en elle-même ; quand j'avais l'air de vouloir et d'agir d'un autre côté, c'était toujours au fond en vertu du secret ressort. Ce que le philosophe Helvétius a dit du motif unique de l'homme en général, n'était que vrai de moi.

Et l'âge, qui vient si vite pour les amants, et les années sérieuses, et la mort, qu'en faisais-je donc ? quelle part laissais-je en idée à ces envoyés terribles ? - Oh ! dans ce plan d'un Elysée terrestre, je ne voyais jamais mon idole, ni moi, survivant de beaucoup aux flatteuses années. Il y a pourtant dans le lent déclin d'une beauté qu'on aime, dans les mille souvenirs qui s'attachent à cet éclat à demi flétri, il y a là une douceur triste que je pressentais assez pour vouloir la goûter jusqu'au bout. Mais cette mélancolie dernière étant aussi respirée, et avant l'extrême fin de cet automne de la jeunesse, je supposais toujours (moi présent et à genoux) la mort languissante de mon amie au sein de la religion qui pardonne. Et après peu d'années de veuvage de cœur et de solitude errante, je m'éteignais pieusement à mon tour, vers quarante-trois ans au plus tard. C'était un terme passé lequel je ne me supportais plus sur la terre.

Raffiné mélange, n'est-ce pas ? d'épicuréisme et de foi à l'âme, d'oubli et de connaissance de Dieu ! perfide image, qui n'était cependant pas tout mensonge,