Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/176

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serein pour prendre un repas délicieux. Au contraire, un jeune homme né pour la vertu, que la tendresse d'une mère retient dans les murailles d'une ville forte..., celui-ci, au sein du repos, est inquiet et agité ; il cherche les lieux solitaires ; les fêtes, les jeux, les spectacles ne l'attirent point : la pensée de ce qui se passe en Moravie occupe ses jours, et, pendant la nuit, il rêve des combats et des batailles qu'on donne sans lui ” comme ce retour vers la Moravie me revenait naturellement aux lèvres pour exprimer mes souffrances jalouses dans l'inaction, loin des victoires ! Il n'était pas jusqu'à ces consonances en i qui ne me touchassent, et où je ne visse une harmonie découragée.

Et vous croirez maintenant, mon ami, que mes heures ne suffisaient pas à des emplois si divers ; que ces contradictions d'actes et de pensées n'y pouvaient tenir ensemble ; qu'au moment et dans les journées du moins de ces nobles méditations, les plaisirs grossiers avaient tort ; que tous ces objets de mes récits se suivaient, se succédaient peut-être à distance, mais ne coexistaient pas ! Détrompez-vous ; reportez les yeux sur vous-même ; songez à ce que l'homme allie d'inexplicable, surtout à ce que cet âge merveilleux de la vie embrasse et condense. Je courais au vallon à la recherche du sage, je rentrais dans la ville à la piste du conspirateur guerrier. l'invoquais le choc sanglant, je lançais mon âme au plus fluide de l'air et dans l'azur. Puis quelque forme épaisse de beauté me rentraînait. Et derrière tout cela, une pensée fidèle, un sentiment voilé, puissant dans sa langueur, transpirant, se retrouvant en chaque point : le désir sans espérance, la lampe sans éclat,- mon amour !