Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/177

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L'élan prodigieux que m'avait donné ma rencontre avec Georges s'étant ainsi déployé en tous sens et assez tôt épuisé, je retombai peu à peu, selon le penchant de ma nature, à considérer les difficultés de l'entreprise, ses lenteurs et la déconvenue probable avant un commencement même d'exécution. Ce nouveau coup d'oeil me replaça en face de mes propres embarras de mes ennuis habituels et quelques irritations involontaires rompirent la courte allégresse. Et si Elle, d'ordinaire acceptant et laissant dire, s'apercevait de ces changements en moi, si elle semblait s'inquiéter (ce qui lui arrivait plus souvent) de me voir autre, de m'entendre me plaindre et menacer en l'air et souhaiter de partir ou de mourir, si elle me reprochait alors doucement de ne pas aimer assez, au-delà de tout, d'être inconstant et de vouloir de moindres biens, je lui disais en m'emparant de ses paroles et en appuyant sur l'intention : “ Mais, vous, aimeriez-vous sans égal qui vous aimerait sans mesure, aimeriez-vous au-delà de tout, au-delà de cet époux et de ces enfants ? ” C'étaient les jours où j'avais été le plus sensuellement égaré que je me montrais ainsi égoïste et dur. Son souci de son mari et de ses enfants me rebutait alors ; à la moindre maladie des uns à l'idée de la prochaine sortie de l'autre, je la trouvais pleine d'un objet qui n'était pas moi. Le trône que je convoitais en son cœur me paraissait, le dirai- je ? grossièrement usurpé par eux. Oh ! que l'amour humain est intolérant, injurieux, dès qu'il s'abandonne sans frein à lui-même ! En ces moments où il vise à la conquête, où il s'altère et s'aigrit dans les obstacles, je le comparerais à ces despotes d'Asie qui, pour se faire voie au trône, égorgent tous leurs