Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/192

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je souvent pensé depuis la cause que vous servîtes d'une si implacable ardeur, était-ce bien la vôtre ? vos instincts courageux ne se fourvoyaient-ils pas ? fils du meunier, que ne fûtes-vous jeté d'abord dans les rangs des bleus ? vous eussiez suppléé Kléber ; on vous eût certes vu disputer à Ney, cet autre héros de même trempe et de même sang, le privilège de brave des braves.

Georges levé, était prêt à sortir : la séparation eut quelque chose de sévère. Il me fit renouveler ma promesse et mon serment. “ Avant huit jours donc ajouta-t-il impérativement, vous aurez sans doute de mes nouvelles :

A la garde de Dieu ! ” En cas qu'on ne me trouvât pas chez moi, une simple carte, glissée sous ma porte, avec un lieu et une heure de rendez-vous, devait m'avertir. Là-dessus il me laissa. Je restai sur le seuil à le suivre du regard jusqu'à ce qu'il eût disparu. A partir de ce moment, je ne m'appartenais plus en réalité ; j'étais tout aux ordres du général Georges.



Envisagée à cette courte distance et à ce degré de précision, l'aventure m'offrit désormais son côté sombre.

Un sentiment grave, oppressé, ne me quitta point ; j'étais enveloppé dans une œuvre sinistre. La portion toujours peu morale qui se mêle aux entreprises politiques et aux complots n'étant point dissimulée en moi par une conviction aveuglante, ressortait en détail à mes yeux. Je me voyais pour le plaisir de jouer ma vie dans ce coup de main meurtrier, compromettant l'avenir du marquis lequel n'en était peut-être pas, ainsi que je l'imaginais à la légère ; empoisonnant d'une douleur certaine un doux cœur qui m'aimait, violant toute reconnaissance envers MM. D... et R., et,