Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/193

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pour prix de leurs bons procédés, les rendant responsables de mon ingratitude. Je n'avais la haine ni aucun fanatisme pour excuse : le besoin de changement et d'émotion extraordinaire, qui me poussait, n'était, à le nommer crûment, qu'un délire du plus exigeant égoïsme.

Voilà ce que je ne pouvais me taire. A la veille d'une conspiration comme d'un duel, on a beau s'étourdir, on sent au fond de son âme qu'on n'est pas dans le vrai ni dans le juste, et pourtant l'honneur humain nous tient et l'on continue. En me disant tout bas ces choses, je ne me repentais donc pas.

Deux jours après la nuit mémorable, madame R. nous ayant envoyé offrir une loge de Feydeau, madame de Couaën fit prier M. de Vacquerie de nous accorder sa fille pour la soirée : car, lui, le bon dilettante campagnard tout ami des ariettes qu'il était, il allait peu volontiers au théâtre, par scrupule. J'accompagnai seul ces trois dames ; et dans la loge étroite, pendant les heures mélodieuses, que de palpitations voilées, que de nuances diverses sympathiques ou rivales durent éclore et se succéder en nos cœurs ! l'excepterai au plus mademoiselle de Vacquerie, qui, accoudée sur le devant sans distraction était tout yeux et tout oreilles, comme une jeune fille, à ce spectacle pour elle si nouveau. Mais près d'elle, madame de Couaën, nonchalamment appuyée et tournée à demi vers nous ; près de moi, sur le second rang, madame R., qui interceptait sans envie nos regards et moi-même, qui, bien qu'inégalement, partageais mes soins de l'une à l'autre et recueillais leur âme tour à tour : telle était parmi nous la vraie scène de cette soirée. La musique, les chants, le jeu du fond, le théâtre rempli, agité, l'éblouissement et le murmure, n'étaient là que pour faire écho à nos paroles, pour favoriser notre silence et encadrer notre rêverie. Seule de nous trois, madame de Couaën n'avait pas d'arrière-pensée ; elle était