Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/196

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sur le cadran d'autrefois tous mes jours et toutes mes heures. Ma mémoire s'est ouverte, et le passé flot à flot m'a rentraîné. Convient-il donc que vous lisiez cela ? convient-il que je persiste à vous le retracer ? L'attrait qui m'induit à tout dire n'est-il pas un attrait perfide ? ne sera-ce pas un legs inutile, ou même funeste, adressé à mon ami, que ces rares conseils perdus dans des enveloppes frivoles et dans des parfums énervants ? - Conscience bien écoutée, voix du cœur dans la prière, j'ose à peine ici vous dire : Conseillez-moi !...

Le lendemain matin de ce bal, vers huit heures, j'étais au lit encore, très absorbé à démêler le tourbillon de la nuit et la conduite de madame R., quand un mot de son mari, apporté au galop par une ordonnance, me pria de le venir à l'instant trouver à l'hôtel du ministère ; car il n'avait pas du tout paru à cette soirée. La coïncidence était brusque et surprenante : mais je ne doutai pas en y réfléchissant, qu'il n'eût à m'entretenir de notre affaire politique. Et, en effet, voici ce que j'appris de sa bouche en arrivant. Les soupçons confus mais de toutes parts multipliés s'étaient accrus depuis les derniers jours. Sans rien savoir de précis, on pouvait conclure de mille indices l'existence d'une machination. Le Premier Consul, durant la nuit même, après un vif débat entre ses conseillers, voulant en finir de ces doutes harcelants, avant décrété la mise en jugement de quatre ou cinq royalistes détenus pour cause antérieure. M. de Couaën par insigne bonheur, n'en était pas. Mais, si son nom aussi bien était venu à la bouche du Consul, le coup eût frappé sans révocation possible, ni moyen d'arrêter les suites judiciaires. Il importait donc à ses amis de le mettre au plus tôt à l'abri de l'orage qui n'était pas calmé, et il n'y avait d'efficace en ce moment qu'un ordre de prompte translation à Blois où il habiterait sous la surveillance de la haute Police. M. R. m'offrait la signature de son ministre, à